Martin est un homme simple sans vague, il part tous les matins à 8h, prend le bus au bas de son immeuble, la ligne 2, descend 5 arrêts plus loin. Il avait choisi cet immeuble pour cela. Une fois qu’il arrive, il traverse la route et entre au 5 rue du professeur, prend l’escalier, entre au premier étage, descend la salle en open space, son box est le dernier à gauche depuis 10 ans, 3 mois, 4 jours et 3 minutes en ce jour.
Martin connait Véronique, sa voisine de box au service contentieux depuis 7 ans. Son travail est répétitif, tous les jours les même suivis, dossier du « contentionné » contenant : fiche individu, fiche navette b4 rempli par le service règlement, fiche de suivi vierge à compléter une fois l’action menée. Puis remettre le dossier dans : la bannette jaune suivi et encours si l’action c’est déroulée, la bannette orange s’il manque une information, bannette rouge en cas de conflit.
Une fois la matinée finit Martin descend devant l’immeuble, prend à droite puis la première à gauche, rentre dans la brasserie « chez Lulu », se place au fond de la salle à gauche, là perdu dans la masse il prend un plat du jour, puis remonte à son poste après une pause de 30 minutes.
A 16h30 il ferme son ordinateur, descend et attend son bus qui arrive à 16h36. Il rentre à son appartement où il attend, en regardant des chiffres et des lettres, le repas du soir qu’il avale devant le journal régional, puis un documentaire et au lit.
Voilà sa vie depuis 10 ans, 3 mois, 5 jours qu’il est à Paris.
Mais depuis peu Martin, ne l’a pas vu mais il a un nouvel ami, c’est René. René est discret, sa rencontre avec Martin est le fruit d’un hasard. Alors que le temps était humide, Martin contrairement aux autres restait sur le même rythme. René se trouvait sur le perron de l’immeuble un pied l’a heurté et il s’est retrouvé airant dans une sphère étrange, sonné pendant quelques instants. Il a repris ses esprits, il était en mouvement, un peu nauséeux, il tangue à gauche, à droite, désorienté, il a le mal de mer. C’est ça comme-ci il était sur un bateau, c’est bien une première pour lui car il aime l’humidité mais c’est un terrien avant tout. Il est en balade mais il ne sait vers où. Il s’accroche de tout son être sur cette petite terre étrange et nouvelle, il s’accroche à ce duvet qui l’enveloppe. Malgré tout il se sent bien à cet endroit. Ces nouvelles sensations, ces nouveaux gouts, ces nouvelles saveurs lui impulsent une nouvelle énergie. Il sent une force qui l’envahit et lui entonne de rester collé à cette cheville et d’aspirer envers et contre tout. Aspirer cette énergie vitale que Martin délaisse depuis si longtemps. Déjà installé depuis 5 minutes et une ouverture qui lui permet de se frayer un chemin, de se mettre à couvert, au chaud. A ce rythme l’aspiration de Martin ne devrait pas prendre plus de 2 jours, le temps lui est compté mais Martin ne le sait pas.
Martin rentre à son domicile, s’installe confortablement devant des chiffres et des lettres et se sent très fatigué. Il se réveille à la fin de l’émission un peu surpris de son propre endormissement. Il décide de prendre une douche pour se requinquer. Une fois dans la douche Martin se sent vidé, mou sans énergie. Il sort et à un étourdissement, il se dit qu’il a peut-être faim. Il prépare donc son repas avec un peu d’avance, sans saveur il ouvre une boîte de salade préparée, la verse dans son assiette, coupe un morceau de pain, se verse un verre d’eau et prépare un flamby en guise de dessert. Il s’attable, mâche lentement, ce n’est pas douloureux mais difficile comme-ci petit à petit ses forces s’évanouissaient. Il commence à se poser des questions, aurait-il attrapé un virus, c’est étrange lui si méticuleux, il se lave les mains plusieurs fois par jour, nettoie son clavier régulièrement.
Il finit son repas se lève dans un effort presque surhumain et se rend sur le canapé. Là il se laisse choir, dans un profond désespoir, sans prendre la peine de rallumer la télé.
De son côté, René est comme envouté, il n’a jamais ressenti autant d’énergie. Ces fluides lui caressent l’intérieur, lui titillent la carapace et l’ensorcèlent. Il se sent pousser des ailes, il est une chrysalide, il a muté, il ne peut en être autrement. Il grossit doucement. Il bave avec vigueur, il est le filtre de l’éternel, il rejette avec force l’inutile et se gave de toute cette énergie délaissée, quel gâchis !
Martin commence à ressentir des sueurs froides, les questions sont de plus en plus pressantes que lui arrive-t-il ? Une larme nait et roule sur sa joue, il lève son bras qui lui semble si lourd et sa main au contact de cette humidité est surprise. Martin s’interroge sur ce liquide, sur sa présence. Il voudrait se rendre au square, il n’y va habituellement que le samedi. Et voilà que là dans son état il voudrait s’y rendre. Mais quelle drôle d’idée. Du jaune, du bleu, du jasmin, traverse son esprit et il revoit la jeune femme qu’il y croise régulièrement et qu’il n’ose aborder. Ses joues sont devenues le lit d’une rivière. Il suffoque, se lève en se hissant au mur et en s’agrippant va rejoindre la fenêtre qu’il ouvre. Respirer, une première bouffée d’air le fouette avec tendresse puis un moustique entre et tourne, retourne, Martin est une proie. Il tente de se débattre mais ses forces lui manquent. Il ouvre la bouche avec l’envie d’hurler, aucun son ne sort ; mais le moustique lui rentre tout droit et se retrouve scotché sur les parois de sa gorge. Martin tousse, rien y fait à pas lent il se rend à la cuisine pour prendre un verre d’eau et dégager l’importun. La gorge est libéré mais soudain prêtant l’oreille, il entend un bruit sourd, un bourdonnement familier raisonne en lui. Martin saute de gauche, de droite, se gratte, il gesticule comme un pantin démembré à la recherche de la porte de sortie, il effleure sa cheville et sent un liquide péguant. Il s’arrête net, se baisse et examine sa jambe, un trou, une bosse. Ce n’est pas douloureux juste présent. Il n’ose mettre le doigt à l’intérieur puis il tente, quelque chose de visqueux puis de dur sous ses doigts. Il tire sur cette chose étrange qui résiste et qui ressemble curieusement à… un escargot.
Le bourdonnement navigue en lui et se réfugie derrière ses yeux, en cet endroit attiré par la lumière extérieur le moustique tente de sortir.
Martin tombe à genoux et sourit. Il ne lui est jamais rien arrivé dans sa vie et aujourd’hui il est au sol au milieu de son appartement avec un moustique derrière ses globes oculaires et un escargot suceur d’homme dans le mollet.
Il lui est désormais impossible de marcher et compliqué de voir. Il rampe jusqu’à l’entrée, dans le placard se trouve une lampe torche, il a une idée. Il l’allume et ce la met dans les yeux puis il descend le long de la joue, le cou, le torse et le moustique suit. Il continue sa balade dans son ventre puis entame la descente le long de sa jambe.
Et là juste avant la sortie Martin attrape l’escargot et dans un dernier effort il hurle et décolle l’aspirateur qui le bec ouvert accueil ce satané moustique. Enfin il l’a évacué tout en s’évanouissant. Il reprend ses esprits au petit matin en pensant avoir rêvé, il se trouve pourtant étalé dans son entrée avec prés de lui un escargot bourdonnant qui le regarde avec un drôle d’air !